Dans l'empressement de certains à remplacer Twitter par Mastodon, il semble que nous tombions dans un vieux piège, un piège qui affecte depuis longtemps les nouvelles technologies et, en particulier, la partie open source dans la technologie. Ce problème, bien sûr, c'est la technologie. Et l'open source. Ou plutôt, le fait de croire que la solution à la plupart des problèmes est plus de technologie et plus d'open source. Comme l’explique Matt Asay, responsable du marketing des partenaires chez MongoDB et ancien d’AWS et Adobe, « nous, les gens de l'open source, avons une fâcheuse tendance à privilégier le choix par rapport à la commodité, et Mastodon tombe dans ce travers. Mastodon se présente comme « un réseau social qui n'est pas à vendre ». Il appuie cet argument en rappelant qu'il est open source et décentralisé : « Copiez, étudiez et modifiez Mastodon comme bon vous semble ». Et « chaque serveur Mastodon est une entité complètement indépendante » ».

Tout cela n'a pas d'importance pour les personnes, pour la plupart non technophiles, qui veulent simplement tweeter - ou « tooter » dans le langage de Mastodon. Certains des principaux arguments de promotion de Mastodon sont des repoussoirs terrifiants pour presque tout le monde en dehors d'un groupe central d'adeptes de l’open source. En voici deux : « Mastodon déployé sur votre propre infrastructure vous permet de suivre et d'être suivi par n'importe quel autre serveur Mastodon en ligne et n'est sous le contrôle de personne d'autre que vous ». « Chaque serveur crée ses propres règles et règlements, qui sont appliqués localement et non du haut vers le bas comme les médias sociaux d'entreprise ».

Le processus d’adoption de Mastodon est déjà un échec en soi

Lorsque vous vous inscrivez à Mastodon, vous devez choisir un serveur. C'est déconcertant, y compris pour les techniciens expérimentés qui ont posté sur Twitter « Qu'est-ce que je suis censé faire maintenant ? ». On vous dira rapidement que le choix n'a pas d'importance, ainsi que des fils entiers d'instructions sur la façon dont le choix d'un serveur vous donne une chance de choisir une communauté qui correspond à vos intérêts, bien que « intérêts » soit défini de façon quelque peu étroite. Mais le fait même que des instructions soient requises signifie que le processus d'embarquement est déjà un échec.

Voici l'expérience du biologiste et professeur Paul Knoepfler avec le réseau social : « Certains serveurs semblent fonctionner beaucoup mieux que d'autres. Certains serveurs présentent également plus de problèmes. Il semble que de nombreux serveurs exigent que l'on fasse une demande pour être dedans, ce qui me semble bizarre ». Il conclut : « La structure décentralisée rend les choses maladroites et désordonnées ». Le Dr Knoepfler a un doctorat, il est habitué à naviguer dans des systèmes et des structures obscures. Et pourtant, Mastodon le laisse perplexe. Il n'est pas le seul.

Un Twitter qu’il faut auto-construire

Les défenseurs de Mastodon ont beau vouloir faire du réseau social un « Twitter sans Musk », il n'en est rien. La recherche fonctionne parfois sur plusieurs serveurs, parfois non, selon le serveur et la recherche. Il est difficile de savoir quel serveur est le bon pour une personne, et le confort de pouvoir changer plus tard n'est pas vraiment un confort. Plus les utilisateurs doivent réfléchir à la technologie sous-jacente à la plateforme, moins ils sont susceptibles de l'utiliser.

Et ils doivent y penser, car pour Mastodon, l'infrastructure et tous ces serveurs sont l'essentiel. Les gens peuvent vouloir parler, mais ils doivent d'abord penser à la technologie utilisée pour le faire, d'autant plus que certains des serveurs les plus populaires de la plateforme se sont effondrés à cause de la charge causée par l'afflux d'utilisateurs. Bien sûr, les premiers jours de Twitter ont été marqués par « The fail whale » (la fameuse image devenue un objet social pour montrer quand Twitter est en maintenance), ce qui prouve que ce n’est pas propre à Mastodon. La manière dont ce dernier résout le problème l'est toutefois, car chaque serveur doit résoudre le problème de manière quelque peu indépendante. Les architectes de Mastodon pensent que c'est une fonctionnalité, mais appelons un chat un chat : c'est un bug.

Plus de simplicité, s'il vous plaît

Comparez cela avec le cap que prend la technologie en général. Prenons le cas du cloud. Pendant des années, des sociétés comme AWS ont fait la promotion de la possibilité de ne plus se soucier de la « lourdeur indifférenciée » de la gestion de l'infrastructure, tout en exigeant des développeurs qu'ils aient une idée de la quantité de stockage dont ils auraient besoin, de la puissance de traitement qu'ils utiliseraient, etc. Le cloud était un grand pas en avant par rapport au monde où l'on achetait des serveurs physiques pour supporter les charges de travail futures, mais il nécessitait encore trop de planification. Regardez maintenant les hyperscalers du cloud. La direction est clairement vers le serverless, vers le fait de ne pas avoir à penser à la technologie sous-jacente. Les développeurs écrivent leurs applications et l'infrastructure se met en place et suit.

Pour les plus libéraux d'entre nous, une réponse naturelle au serverless est de le qualifier de « l'une des pires formes de verrouillage propriétaire que nous ayons jamais vues dans l'histoire de l'humanité ». Mais devinez quoi ? Les entreprises ne semblent pas s'en soucier. Elles se préoccupent d'autres choses, comme la livraison d'applications qui les aident à répondre aux exigences des clients dans un environnement macroéconomique difficile. Revenons à Twitter et Mastodon. Même si nous idéalisons le bon vieux temps de Twitter, ce site a longtemps été une sorte de poubelle. Comme lu récemment, « ce n'était pas seulement un site infernal, c'était une maison infernale ». Il a été rempli de personnes en colère et impolies depuis le début, parce que les gens peuvent être en colère et impolis, surtout lorsqu'ils sont coupés de la réalité de l'engagement en face à face. Si vous pensez que Mastodon résout la nature humaine parce qu'il est open source et décentralisé, vous n'avez pas passé assez de temps sur la liste de diffusion du noyau Linux. Encore et encore, nous apprenons que si les technophiles veulent célébrer les utopies du choix, la plupart d'entre nous veulent simplement la commodité avec un peu de choix. Nous ne voulons pas choisir les serveurs. Nous ne voulons pas réfléchir à la technologie qui sous-tend nos conversations. Nous voulons juste parler. Ou tweeter.