« La guerre se passe aussi dans l’espace cyber, où nous menons une guerre active ». Voici comment Mykhailo Fedorov, le vice-premier ministre d’Ukraine, a ouvert le sommet dédié au cyber à la Maison de la chimie, à Paris. Pour l’occasion, dix ministres européens, 300 décideurs politiques et près de 60 intervenants sont attendus ce 11 et 12 mai 2022. Le sujet d’actualité, la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie, s’est donc invité dans cet évènement européen. Face au conflit qui se poursuit, le ministre ukrainien explique que le numérique est très important. Il a par exemple lancé les premiers passeports dématérialisés.
Également en charge de la transformation digitale, Mykhailo Fedorov a suivi avec attention le déploiement des services digitaux depuis sa nomination en août 2019. Il est notamment à l’origine du lancement de Diia, littéralement « action » en français, qui est en fait un guichet unique pour les ukrainiens. L’application mobile, lancée dans un premier temps pour lutter contre la pandémie, a ensuite servi pour l’armée lors de l’invasion le 24 février dernier. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 17 millions d’ukrainiens et ukrainiennes qui sont enregistrés sur cette application, où les données sont collectées et servent aujourd’hui pour divers usages.
Diia, l’application aux multiples facettes
« On peut signaler où est l’ennemi grâce à l’application Diia » explique ainsi Mykhailo Fedorov, ajoutant qu’« un chatbot, s’appuyant sur la géolocalisation, a été créé pour aider les citoyens à connaître l’emplacement des troupes ennemies ». Couplée aux images satellites et aux signalements faits par la population, elle signale aux militaires ukrainiens la présence de l’armée russe, mais aussi les corps des soldats. Le dirigeant précise que l’intelligence artificielle est par ailleurs utilisée pour repérer ces corps mais également retrouver leur présence sur les réseaux sociaux. Ainsi, ils peuvent le signaler aux familles.
Par ailleurs, Diia offre aux personnes en zone de combat d’accéder au système de paiement en ligne, afin de recevoir une aide de l’Etat, sans avoir besoin de se déplacer sur le territoire. Un service de remboursement et de carte bancaire virtuelle a été mis en place afin de recevoir ces aides. Les citoyens ukrainiens, quant à eux, peuvent déclarer la destruction de leur maison, en prenant plusieurs photos, et les envoyer sur un service de l’application, afin de bénéficier d’une aide spécifique. « Nous pouvons répondre aux cyberattaques et en même temps aider les ukrainiens » déclare M. Fedorov.
L’IT army, ces soldats du cyberespace
« Le rôle des technologies est très important, elles constituent l’avenir et la cybersécurité en est la base » assure M. Fedorov. A ce jour, les cibles des cybercriminels sont les infrastructures critiques et les médias mais rien n’a été véritablement détruit. La Russie essaie notamment de briser le système bancaire ukrainien, dont dépend une large partie des services. En réponse à cette offensive, l’Ukraine a déployé son armée cyber appelée « IT army ». Cette dernière, composée de hackers volontaires, agit en lien avec le gouvernement ukrainien et échange via un canal Telegram, notamment pour préciser quelles sont les cibles visées. Le ministre précise que le groupe est public.
A l’aide de cette armée cyber, le gouvernement s’emploie donc à mener plusieurs offensives. Précisant qu’il ne peut pour l’instant pas parler des grandes actions menées, il met en avant tout de même la dernière action en date, à savoir le blocage de la plateforme comptable de distribution d’alcool en Russie. Mykhailo Fedorov fait état d’un nombre croissant d’attaques, et précise que plus de 80 systèmes IT russes ont été endommagés des suites des attaques menées par l’Ukraine. Rutube, l’équivalent russe de Youtube a été mis hors service après un piratage massif tout comme le site du FSB. Le dirigeant annonce qu’il parlera de véritables résultats à la fin de cette guerre, notamment afin de ne pas nuire à certaines actions en cours.
Le développement technologique de l’Ukraine ralenti
La guerre se poursuit maintenant depuis 74 jours et malgré les moyens dont dispose l’Ukraine, M. Fedorov estime qu’elle aura un impact considérable sur le développement du pays dans les années à venir. Il note d’ores et déjà le départ de spécialistes IT et explique que le programme de développement à horizon 2030 tient compte de la situation actuelle, notamment sur le front cyber.
L’Ukraine, qui se rêve en un hub cyber à l’avenir, pourrait ainsi faire part de son expérience en la matière et de son exposition aux attaques en temps de guerre. « La cybersécurité est un défi mondial et l’hygiène cyber doit être dans la tête de chacun » précise-t-il, ajoutant que « c’est au gouvernement de créer un cadre [cyber] et aux citoyens de le respecter ».