« La température extérieure monte inexorablement sur le site de notre datacenter Aurora à Ivry. On arrive doucement sur les hypothèses extrêmes de conception », a tweeté le 18 juillet 2022 Raphaël Nicoud, co-fondateur et directeur général d'Aquaray, spécialisé depuis 2003 dans l'hébergement de serveurs et de sites web. « On dirait qu'on a passé le max avec un pic à 39,6° aujourd'hui. C'est à dire un petit peu moins qu'il y a 5 jours. Mais le pire, c'est pour demain ! ». Ou après-demain plutôt : car avec le réchauffement climatique généralisé, la fulgurance et l'intensité des pics de chaleur vont se multiplier dans les prochains mois.

Et dans quelques années, faut-il craindre le pire pour les datacenters français hébergeant des données sensibles ? Que se passera-t-il si demain la chaleur empêche les opérateurs d'importance vitale - les fameux OIV dont la liste est tenue secrète par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information - mais aussi les OSE (opérateurs de services essentiels) et plus globalement toutes les entreprises qui font marcher l'économie - d'accéder correctement à leurs capacités informatiques pour faire tourner leur business ? Ardentes questions à laquelle la rédaction a souhaité apporté quelques éléments de réponse en interrogeant des acteurs bien placés du marché des datacenters en France.

Des groupes froid avec des amplitudes de fonctionnement supérieures à 40°C

« Les datacenters sont conçus pour résister à des températures extérieures de plus en plus importantes. Les équipements retenus dans un design de datacentre et des groupes froids notamment, fonctionnent sur des plages de températures élevées. Il est commun aujourd’hui, d’obtenir des fiches de sélections des groupes froids, offrant des amplitudes de fonctionnement supérieures à 40°C, sans dégradation des performances. On ajoute à cela des standards opérationnels élevés, avec des systèmes offrant, par exemple, des redondances matériels de l’ordre de N+1 à N+2. En cas de pic des de chaleur, ces machines peuvent être sollicitées et ainsi réduire l’effort global de la production froid d’un site. Les risques de montée de températures en salle IT, sont donc maitrisés, de part une production suffisamment bien dimensionnée », nous ont expliqué David Lhussiez responsable programme et projets senior chez Equinix et Thibault Roch, spécialiste informatique durable chez Equinix. « les améliorations des équipements IT (serveurs…) permettent de fonctionner à des températures plus élevées, ainsi de nouvelles techniques de refroidissement ont pu avoir vu le jour. Exemple du refroidissement en utilisant l’air extérieur, appelé aussi le freecooling, dans ce cas au lieu d’utiliser de l’électricité nous pouvons utiliser l’air extérieur pour refroidir les salles IT. Ayant pu augmenter à 22°C certaines salles nous pourrions utiliser environ plus de 5000h/an l’air extérieur pour refroidir à cout réduit les salles IT.

Du côté d'Interxion également, du travail a été mené pour anticiper les pics de chaleur et ses conséquences. Comme nous l'a indiqué un de ses porte-parole : « cela fait partie des scenarios anticipés par nos opérations, duquel dépend un plan spécifique?: température en salle réhaussée grâce à des équipements de dernière technologie permettant de réduire le besoin en refroidissement en accord avec les directives thermiques de l’Ashrae (american society of heating, refrigerating and air-conditioning engineers), un système d'autoprotection au niveau des équipements clients, le changement des plages horaires des techniciens pour anticiper les problèmes, desinnovations telles que le blanchiment des toitures pour éviter les îlots de chaleur... et aussi une réflexion en amont sur la conception des bâtiments afin de limiter l'absobption d'une trop forte concentration de chaleur.

Recommander de souffler en face avant à 26°C sur les équipements des salles informatiques.

« Un nettoyage préventif des groupes froids au sortir du printemps, permet de préparer ces derniers à délivrer leur capacité maximale », expliquent de leur côté David Lhussiez et Thibault Roche. « D’une manière plus générale,  tous les équipements liés à la production de froid (pompes secondaires, armoires de climatisation…) doivent être maintenues et en parfait état de fonctionnement. Les paramètres et réglages de tous ces équipements doivent être vérifiés et ajustés en fonction. Equinix met en place des contrôles et vérifications (pre-summer checks/pre-winter checks), permettant de passer en revue tous ces contrôles et ainsi être préparé à ces épisodes caniculaires mais aussi grands froids. Un autre mécanisme serait de limiter l’utilisation de la climatisation, c’est-à-dire de ne pas paramétrer la climatisation  à une température trop basse et ce pour deux raisons : éviter une surconsommation des équipements et une sursollicitation qui pourrait au contraire entrainer une panne durant ces épisodes de canicules. L’utilisation de systèmes adiabatiques adaptés permet également de baisser les températures, permettant aux équipements de recouvrer des plages de fonctionnement moins contraignantes. Et éviter un choc thermique des personnes, lorsqu’une température extérieure de 40°C il est inutile de mettre en marche une climatisation à 18°C, le mieux est de paramétrer les climatisations entre 22-24°C ».

Depuis 2011, les normes Ashrae (American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers), qui définissent les standards d’efficience énergétique des data center, ont été relevés. « Il est recommandé aujourd’hui de souffler en face avant à 26°C sur les équipements des salles informatiques. Le niveau d'hygrométrie a lui aussi été modifié : en 2008, il oscillait entre 40 et 60% et est désormais porté à 70 % », rappelle Interxion. Et son compatriote Equinix de préciser :  L’Ashrae définit ainsi la plage suivante de température allant de 18-27°C.

Du river cooling quand c'est possible 

La capacité de refroidissement apparait donc essentielle pour faire baisser la température des infrastructures informatiques en environnement datacenter. Et pour cela, Interxion a par exemple développé une innovation particulière, le river cooling, qui détourne l’eau d’une galerie artificielle construite pour évacuer les eaux des anciennes mines de Gardanne. « Cette eau, impropre à la consommation et dont la température est de 15° toute l’année permet de refroidir à 100% nos datacenters installés sur le grand port maritime. Cette solution est 30 fois plus économe en énergie qu’une solution de refroidissement classique », explique l'opérateur. 

La balle n'est pas seulement dans le camp des opérateurs de datacenters quand il s'agit de lutter et de prévenir les incidents et les pannes liées aux extrêmes élévations de température : « les services R&D des fabricants de matériel (groupes froids, tours aéroréfrigérantes…) sont également des acteurs majeurs, permettant d’optimiser les méthodes de refroidissement, tout en limitant les impacts environnementaux », rappellent les experts d'Equinix. « Charge aux opérateurs de DC, d’optimiser le fonctionnement de ces infrastructures techniques, pour toujours garantir et assurer la meilleure dissipation des calories en salle blanche, et permettre aux équipements IT de fonctionner dans les meilleures conditions ».

Electricité carbone neutre et refroidissement renouvelable attendus chez Cdiscount

Et si l'on n'est pas opérateur de datacenters ni fournisseur de matériels mais un « simple » utilisateur, quels points de vigilance faut-il suivre ? Du côté de Cdiscount par exemple, c'est sur l'efficience énergétique que l'accent est mis : « depuis plusieurs années, Cdiscount et toutes ses entités mènent politique globale et très volontariste de réduction de l’impact environnemental de son activité. Au sein de notre entité technologique, nous travaillons avec des fournisseurs parmi les meilleurs du marché : SFR, interxion , Equinix, et Microsoft Azure, ce qui nous permet d’avoir les plus haut niveaux de certification et d’efficacité énergétique », assure une porte-parole du géant du commerce en ligne français. « La chaleur est la conséquence des pertes liées à la consommation électrique. A notre niveau, notre engagement dans une démarche numérique responsable s’illustre par : une baisse de 10% de la consommation électrique de notre infrastructure chaque année, avec un trafic en hausse. Pour y parvenir nous avons optimisé notre code, et avons virtualisé l’ensemble de notre parc serveur, VM et conteneur, afin d’optimiser l’utilisation de notre parc serveur Une politique engagée sur les nouveaux serveurs, afin d’optimiser la compacité. Nous testons actuellement des serveurs ARM pour gagner encore plus en efficience. Une réduction du trafic réseau, via l’utilisation des derniers algorithmes de compression L’enjeu de ces prochaines années tiendra en effet à l’utilisation d’électricité neutre en carbone nucléaire et renouvelable, et des solutions de refroidissement renouvelables, moins basées sur des échanges air/air ». 

L'informatique n'a décidément pas fini de souffler le chaud et le froid. Surtout le chaud...