LMI. Alliette Mousnier-Lompré vous avez été confirmée à la direction générale d'OBS en mai dernier, après une période d'intérim depuis janvier 2022. Entre-temps, le monde a été frappé par la guerre en Ukraine, la crise inflationniste, la pénurie de composants qui se poursuit et entrave la supply chain de nombreux acteurs tech et industriels, sans compter la pandémie Covid qui fait son yoyo. Dans quel état d'esprit êtes-vous et comment se porte OBS ?
Aliette Mousnier-Lompré. Je suis dans un état d'esprit conquérant. Orange Business Services est dans une situation un peu paradoxale. On a marché du BtoB avec une transformation digitale des entreprises qui n'a jamais été aussi intense, accélérée par la crise Covid. Donc il y a énormément de demandes sur le marché, on a beaucoup de clients qui viennent nous voir, qui ont besoin de nos produits, de nos services. Et en même temps, cette situation est paradoxale. Comme vous le décriviez on est dans un contexte qui est extrêmement volatile, incertain, compliqué, avec une situation géopolitique complexe qui a impacté les supply chain mondiales. On a beaucoup d'inflation et on a aussi une très forte transformation des usages de nos clients. Pour vous donner un exemple, on a vendu pendant des années ou des décennies, par exemple, de la téléphonie fixe à nos clients. Mais de plus en plus dans les entreprises, on remplace tous les téléphones fixes vers des solutions de collaboration sur des PC avec du Teams, du Zoom ou du Webex. Et cela veut que nos produits et services doivent complètement se transformer. On doit s'adapter et cela impacte assez fortement notre trajectoire de profitabilité.
Jean-Noël Barrot vient d'être nommé ministre délégué à la transition numérique et aux télécoms. Il a un profil orienté économie et financement, peut être atypique pour ce poste. Est-ce qu'on l'on peut penser finalement que la mère des batailles est davantage financière que technologique. Est-ce le cas aussi pour OBS et les DSI avec qui vous échangez ?
Non, je crois que la mère des batailles, c'est quand même la question des usages et des besoins et comment on crée grâce à la technologie de la valeur, qui peut être financière, mais aussi en termes d'usage pour les utilisateurs. De la valeur aussi sur des questions de transition écologique et sur la vie quotidienne de millions de gens qui vont travailler dans des bureaux, qui travaillent de chez eux et qui peuvent avoir accès à des outils numériques ou à des solutions qui rendent leur vie plus facile.
Comment vivez-vous votre nouvelle nomination ?
Ce que je peux dire c'est que je suis extrêmement motivée par la mission. Orange Business Services est dans une trajectoire stratégique relativement stable. On a investi depuis déjà plus d'une décennie, et c'était vrai avec mes prédécesseurs pour monter en valeur et en puissance sur les métiers de l'IT, de l'intégration, et on va continuer ce mouvement-là et on va même probablement l'accélérer.
Parmi les grands moteurs d'OBS, on trouve la transformation digitale mais aussi l'hybridation des systèmes d'information, la virtualisation réseau, l'edge, le SD-WAN ou encore le data driven dont on a beaucoup entendu parler chez OBS, et bien sûr aussi de la cybersécurité. Comment répondez-vous à tous ces challenges ? Quelles sont les priorités pour vous et pour vos clients ?
On est en effet dans un monde qui d'un point de vue technologique bouge très vite. On a un grand mouvement technologique sous-jacent de transformation vers le cloud et vers ce que l'on appelle la virtualisation des fonctions de réseau. Donc on a tous ces réseaux télécoms historiques qui deviennent du logiciel et de l'informatique, et cela ouvre un champ d'innovation qui est très important et change complètement nos manières de de fonctionner. Pour nos clients, cela ouvre de nouvelles options de solutions, de flexibilité, de capacité à avoir des solutions à la demande qui sont évolutives et qui répondent à leurs besoins.
Dans ce contexte-là, nous avons 5 grandes priorités pour accompagner nos clients. Tout d'abord on est un acteur mondial et extrêmement bien positionné sur tout ce qui concerne la transformation des infrastructures digitales des clients, des entreprises. Donc tout ce qui est à la croisée des chemins, entre de la connectivité, du réseau, du cloud et de la cybersécurité. On voit que d'un point de vue technologique, tout cela converge et de plus en plus, nos clients qui ont des stratégies multicloud vont avoir besoin d'acteurs de confiance pour gérer de bout en bout cette connectivité, mais de manière vraiment flexible, sécurisée, à la demande. Et donc là-dessus encore une fois, je pense que l'on est vraiment un acteur de référence, c'est notre première grande priorité.
Notre deuxième priorité, c'est tout ce qui est autour de la data et de l'intelligence artificielle. On a plus de 4000 experts sur ce sujet au sein d'Orange Business Services, on monte très fortement en puissance, et on voit que de plus en plus les entreprises ont besoin de ces solutions pour exploiter leurs données, en extraire de la valeur, et surtout prendre de meilleures décisions, plus vite, et on a tout un tas d'outils et de solutions à leur disposition.
Notre 3e axe prioritaire, c'est tout ce qui est autour de l'expérience salariée. Aujourd'hui dans un monde où le travail devient hybride où l'on utilise des solutions de vidéos, des solutions collaboratives, on peut, en mixant des technologies, du logiciel, de la connectivité, de l'intelligence artificielle... on peut faire des choses très intéressantes pour les.
On travaille ensuite sur l'expérience client, beaucoup autour, par exemple des centres de contact, là aussi sur la façon d'utiliser des technologies autour du cloud, du réseau, du logiciel, de la data pour que, par exemple, que tous nos grands clients puissent optimiser l'accueil de leurs propres clients dans les centres de contact.
Et puis enfin, on a tout ce qui est l'optimisation de ce que l'on appelle l'expérience opérationnelle ou dans le jargon, par exemple, les smart industry. C'est à dire comment on peut accompagner nos clients pour qu'ils optimisent la manière dont ils produisent leurs solutions, optimiser leur supply chain. Au travers du cloud, de l'edge, de l'intelligence artificielle, de l'IoT de la 5G, des réseaux mobiles virtuels, on est capable de faire énormément de choses.
Et en termes de concrétisation chez les clients, cela donne quoi ?
Cela donne énormément de projets ! On a des milliers de clients en France et partout dans le monde. On a par exemple gagné un très gros contrat cette année avec Mondelez, un des géants mondiaux sur le marché de l'alimentation. On les a accompagnés à la fois dans toutes les questions autour de leur poste de travail et de leur expérience salariée. Ils ont des salariés, comme beaucoup d'entreprises qui sont à la fois dans des bureaux, chez eux, dans certains cas, dans des usines, dans des centres de contact, dans des datacenters, et ils nous ont demandé de vraiment repenser complètement la manière dont leurs salariés pouvaient collaborer les uns avec les autres. On les a accompagnés dans le déploiement de la technologie Microsoft Teams, mais autour de cela, nous avons apporté toutes nos capacités de réseau, de communication, avec nos solutions voix au niveau mondial dans plus de 80 pays. Et puis on a apporté aussi une couche d'intégration, d'expertises sur la data, sur l'intelligence artificielle pour vraiment qu'ils puissent optimiser l'ensemble. Et on est responsable de la qualité de bout en bout, parce que souvent dans le monde, dans lequel on est qui est très complexe, celui du logiciel, c'est assez compliqué d'avoir cette vue de bout en bout sur les services et donc d'avoir un partenaire qui est responsable de la qualité de service de bout en bout et qui garantit l'expérience utilisateur. C'est absolument critique.
Vous évoquez Mondelez, mais en France il peut aussi y avoir de grands projets. On pense notamment à celui des Jeux Olympiques, un gros morceau au niveau connectivité et edge : quelle est l'implication d'OBS sur ce projet ?
En effet, Orange, de manière générale, est sponsor pour les Jeux Olympiques 2024. Les équipes d'OBS travaillent de près avec celles d'Orange pour cet événement mais pour l'instant on ne communique pas particulièrement sur le sujet. Par contre en effet, il y a beaucoup d'enjeux autour du réseau. De manière générale on voit finalement que le réseau et la connectivité deviennent quelque chose d'absolument critique, de vital pour les entreprises et pour les personnes qui pilotent des grands événements comme les Jeux olympiques. Si le réseau n'est pas au niveau et n'est pas à la hauteur, on peut se retrouver dans des situations de crise qui sont absolument catastrophiques. Donc on travaille là-dessus à tous les niveaux. Et puis vous demandez des exemples sur la France de projets clients, on peut par exemple citer ce que l'on a fait qui est assez innovant avec Arcelor Mittal autour de la 5G, avec un autre partenaire qui est Ericsson, on a travaillé pour les accompagner autour de la modernisation de leurs usines et de leurs centres de production. Grâce à de la technologie 5G, de la data, du digital, de l'intelligence artificielle, du cloud, on met en place avec eux des solutions de maintenance pour leurs salariés sur leur chaîne de production qui sont beaucoup plus avancées pour leur permettre de réduire leur taux d'incidentologie. Et puis on construit avec eux aussi un projet qui va leur permettre d'avoir des trains autonomes au sein de leurs usines de production pour gagner en productivité, gagner en efficacité et tout ça grâce à la 5G.
Vous citez comme équipementier Ericsson mais on se rappelle aussi de Huawei qui était au cœur de certains équipements réseau aussi en France : où en est-on dans le cadre de ces projets-là ? Est-ce qu'il y a des clients qui continuent à travailler avec ce type d'équipementier ? Comment vous faites pour gérer cette situation ?
On a une position qui est assez simple qui est de donner un maximum de choix à nos clients, et ce sont eux qui décident quelles technologies ils veulent utiliser. Ils ont leurs propres contraintes, leurs propres motivations. C'est vrai que l'on est dans un écosystème digital mondial qui, en miroir de la situation géopolitique, est de plus en plus fragmenté, il est donc très important pour nos grands clients multinationaux de pouvoir gérer leur dépendance, de pouvoir être en contrôle de leurs données, d'être en contrôle de leurs solutions technologiques et de pouvoir, encore une fois avoir le choix. On travaille bien sûr avec de nombreux partenaires : Français, Européens, Américains, Chinois. Vous avez cité Huawei, c'est un de nos grands partenaires. On a un portefeuille de solutions très varié.
Donc vous jouez plutôt la carte de l'agnostique plutôt que la prise de position...
On joue la carte de l'agnostique comme vous dites, après on est bien sûr en situation de conseil pour nos clients puisque suivant leurs besoins, suivant la criticité de leurs données, suivant leur situation et leur localisation dans le monde et leurs enjeux, ils peuvent avoir des besoins qui sont différents. Et donc notre portefeuille de partenaires, et donc notre portefeuille de solutions nous permet d'apporter une certaine diversité et encore une fois de donner le choix.
Orange a une société commune avec Capgemini et Microsoft, c'est Bleu, dans le cloud de confiance. Comment OBS est mobilisé sur ce projet en termes humains, techniques et opérationnels ? OBS a-t-elle une part de responsabilité sur le retard à l'allumage de Bleu parce que l'on sait que les services de pleine capacité ne sont pas attendus avant 2024 ?
En effet, on va créer cette société qui s'appelle Bleu, qui est une joint-venture à 50-50 avec Capgemini, créée d'ici la fin de l'année. On doit passer un certain nombre de validations au niveau des autorités européennes. On a annoncé que la société Bleu, une fois créée à la fin de l'année, commencerait à accompagner les clients pour la préparation des migrations et que les services seraient disponibles en 2024. Il faut bien comprendre que la promesse de Bleu, c'est donc le cloud de confiance, le cloud souverain. Cela veut dire que l'on va avoir une solution qui est complètement construite et hébergée en France, opérée en France par une société française et par un personnel Français sur le sol Français. Et donc forcément, il y a un certain nombre de travaux techniques, avec beaucoup de travail qui est fait avec les équipes Microsoft, avec les équipes Capgemini, avec les équipes Orange et avec l'Anssi pour aller chercher ce label SecNumCloud et Cloud de confiance. Et donc cela forcément, prend un peu de temps. Je pense que globalement tout le monde a besoin de temps pour être complètement prêt. La promesse de Bleu est extrêmement attendue par les clients. Il y a un enthousiasme et une attente extrêmement forte au sein de nos clients sur le sujet.
Quel est le rôle d'OBS dans le cadre de Bleu : cela sera de la mise en oeuvre, de la gestion des réseaux, de l'opérationnel, dont seules ses équipes accèderont aux datacenters...
Il faut bien distinguer le fait que Bleu va être une entreprise autonome, c'est donc son personnel qui va opérer les datacenters, opérer la solution et la commercialiser. Par contre Orange Business Services au même titre que Capgemini ou d'autres, sera un partenaire de Bleu et va pouvoir offrir des services aux clients pour les accompagner vers cette migration autour de Bleu et va pouvoir proposer des services complémentaires, par exemple autour de la cybersécurité, autour de la data pour accompagner les grands clients.
Peut-on imaginer du personnel OBS qui soit migré vers Bleu ? Y aura-t-il des bascules d'équipes ?
Il n'y aura pas de transfert de personnel, parce qu'encore une fois Bleu va être une entreprise entre comme une autre et donc Bleu va recruter son personnel et va faire ses choix de recrutement. Potentiellement, il pourra bien sûr venir recruter des personnes qui sont aujourd'hui chez Orange Business Services.
On a vu que le contexte est un petit peu compliqué, aussi bien économique que boursier : est-ce que cela peut affecter l'opération de spin-off de l'activité cyberdéfense qui est quand même dans les tuyaux depuis quelques temps ?
Alors pour l'instant, à court terme il n'y a pas d'ambition particulière de coter en bourse notre activité cyberdéfense. Ce que l'on a fait cette année, c'est un détourage de cette activité pour s'assurer que l'on regroupe l'ensemble de nos compétences cyberdéfense dans une entité unique. On a de très fortes ambitions sur le marché de la cyberdéfense. On est numéro 1 sur le marché France, numéro 4 en Europe. On va atteindre, on espère, le milliard d'euros de chiffre d'affaires sur cette activité en 2023. Donc ce détourage a vraiment pour objectif de consolider les équipes, de gagner en efficacité opérationnelle, de pouvoir là aussi monter en puissance en termes d'attractivité, de pouvoir recruter et éventuellement en effet faciliter des opérations de croissance inorganiques à l'avenir. Mais aujourd'hui, Orange Cyberdéfense est une entité qui est 100% filiale d'Orange Business Services. On travaille main dans la main et on sait tous que c'est absolument vital, à la fois pour Orange, Cyberdéfense et Orange Business Services, que l'on mette de la cybersécurité dans tout ce que l'on fait : quand on vend aujourd'hui des solutions, par exemple d'IoT des capteurs industriels, quand on vend de la connectivité et qu'on a des activités réseau, quand on travaille sur des migrations vers le cloud... sur tous ces sujets, l'enjeu cyber est quasiment l'enjeu numéro un des directeurs généraux aujourd'hui et donc, on met à disposition des expertises pour les clients.
Alors OBS aujourd'hui c'est le 5e fournisseur de services IT au niveau mondial avec plus de 7,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, plus de 2 M de clients professionnels. C'est aussi un marché compliqué, on le voit avec Atos qui traverse une crise existentielle, et puis des acteurs comme IBM qui se scindent en deux avec Kyndril pour en faire une machine de guerre sur le territoire. Comment allez-vous vous battre aujourd'hui pour gagner des parts de marché dans ce contexte-là, et croître ? Quelles sont vos ambitions, vos objectifs ?
Alors on est aujourd'hui en train de retravailler le plan stratégique au niveau global avec l'arrivée de Christel Heydemann qui a pris donc ses fonctions de directrice générale en avril dernier à la tête du groupe Orange. On reviendra donc vers vous plutôt à la rentrée avec une stratégie BtoB Orange consolidée, donc je ne vais pas communiquer globalement là-dessus à ce stade. Par contre, en effet, on a l'ambition d'avoir une stratégie de croissance sur le le marché BtoB pour Orange. On voit encore une fois qu'il y a des besoins sur le marché qui sont très importants de la part de nos clients. Et puis on a ces axes prioritaires de croissance que je vous décrivais tout à l'heure.
Comment vous réagissez par rapport à cette complexité d'acteurs et d'arène concurrentielle qui peut bouleverser le marché et aussi peut-être créer des opportunités pour les clients de changer d'opérateurs ou de fournisseurs de services ?
Alors c'est sûr que le marché bouge très vite parce que les technologies bougent très vite. Les usages et les attentes des clients évoluent très rapidement. On voit également que, en effet, il y a des mouvements de marché importants. Après nous on est assez sûr de nos forces dans le sens où on a un positionnement aujourd'hui à la fois un positionnement d'opérateur et l'intégrateur ce qui nous donne une un positionnement assez unique sur le marché. On a ces capacités sur le réseau, des capacités historiques sur la connectivité, on monte en puissance sur les nouveaux métiers, et bien sûr il y a pas mal de questions qui peuvent se poser sur le modèle qui va nous permettre d'aller optimiser notre croissance et de répondre le mieux possible aux attentes de nos clients.